annexe 26A

Allocution prononcée par le Général d'armée
Hervé Gobillard, Gouverneur des Invalides

À L'OCCASION DES OBSÈQUES DU COLONEL DÉODAT du PUY-MONTBRUN

Mon Colonel, l’Institution Nationale des Invalides, l’Armée française, sont ce matin en deuil.

En vous envolant pour votre dernière mission, lundi après-midi, les Invalides, l’Armée française, perdent un de leurs plus grands soldats du 20e siècle, dont les exploits, le courage hors du commun, le sens du devoir et l’amour de la France marqueront à jamais les générations futures.

C’est une très profonde tristesse que nous ressentons, mais aussi un sentiment de grande fierté d’avoir eu le privilège de vous avoir compté parmi ces prestigieux Pensionnaires des Invalides qui, depuis plus de trois siècles, forment une chaîne ininterrompue d’héroïques serviteurs de la patrie, meurtris dans leurs chairs au service des armes de la France. 

Mon Colonel, c’est pour moi un grand honneur d’être l’interprète de tous ceux que vous laissez ici, camarades de combat, militaires de toute génération, Pensionnaires, médecins et personnels de l’Institution, bénévoles, pour vous exprimer une dernière fois notre très profonde admiration.

Vous êtes né le 18 février 1920, à Toulouse, dans une grande famille languedocienne. Votre père, ingénieur des chemins de fer, qui avait été gazé pendant la Grande Guerre, décédera des suites de ses blessures quelques années après la fin du conflit. La campagne environnante et les montagnes pyrénéennes, sont les terrains de jeux que vous partagez avec vos deux frères, pendent votre enfance et votre jeunesse.

Passionné de littérature, l’un de vos ouvrages favoris est L’Escadron blanc et tout jeune, vous rêvez de partir un jour comme méhariste au Sahara. En 1938, à dix-huit ans, après avoir obtenu votre baccalauréat, vous décidez de vous engager dans l’armée. Très rapidement, votre niveau d’instruction, votre allant et votre autorité naturelle vous permettent de vous élever dans la hiérarchie.

À la déclaration de guerre, en septembre 1939, vous êtes nommé Maréchal des logis. En janvier 1940, vous rejoignez l’École de cavalerie de Saumur pour suivre un peloton d’élèves officiers. À l’issue, vous participez à la campagne de France au sein d’une unité de reconnaissance motorisée.
Le 18 juin 1940, vous êtes très grièvement blessé à la tête et sombrez dans le coma pendant quelques jours. Vous reprenez connaissance le 24 juin, dans une infirmerie allemande où vous êtes prisonnier.

À la première occasion, vous vous évadez et trouvez refuge dans une ferme où l’on vous cache jusqu’à ce que vous ayez de force pour rentrer chez vous dans le sud-ouest. Réintégré dans l’armée d’armistice, vous êtes affecté au 2e Régiment de hussards. C’est là que vous faites la connaissance de François BISTOS avec qui vous allez organiser dès 1942, le réseau « Confrérie Notre-Dame », qui prend en 1944 le nom d’Andalousie.

Au sein de ce réseau, vous êtes responsable du service opération, chargé en particulier de collecter des renseignements pour le BCRA de Londres. Arrêté à plusieurs reprises, vous parvenez à chaque fois à échapper aux Allemands, jusqu’à cette souricière tendue par la Gestapo le 28 juillet 1944 qui a bien failli vous être fatale.

N’étant plus en sécurité sur la terre de France vous vous envolez pour l’Angleterre dans la nuit du 4 au 5 août 1944. Là-bas, vous suivez une formation particulière et serez parachuté en France pour y effectuer de nombreuses missions de l’ombre, puis vous continuerez à vous battre aux côtés des Américains jusqu’à la victoire finale.

Vos exploits vous valent d’être six fois cité et nommé Chevalier de la Légion d’honneur à vingt-cinq ans. Les Britanniques vous décerneront la médaille du courage. En 1945, vous entrez au prestigieux 11e Choc en formation. Dévoré par la passion de tout donner à la France et animé d’une farouche volonté de vous battre, vous partez en Indochine et êtes affecté aux Troupes Aéroportées d’Indochine.

Bien que détaché auprès du Général de Lattre de Tassingny comme aide de camp, vous profitez des absences du Général pour monter des opérations d’une incroyable témérité derrière les lignes vietminh, à partir de chaloupes depuis les côtes d’Annam.
En 1952, après la mort du Général, vous créez comme capitaine, le Groupe des commandos mixtes aéroportés, le fameux GCMA, avec lequel vous mettez au point des techniques de harcèlement et de sabotage inconnues jusque-là.

Puis, vous serez affecté comme commandant en second du 8e Groupement de commandos parachutistes du Capitaine TOURRET. Pendant plusieurs mois au Laos, vous multiplierez les coups de main avec des milliers de partisans Hmongs sur les arrières des troupes vietminh.

À votre retour en France, vous êtes affecté au service action du 11e Choc à Cercottes. Vous y rencontrez le Chef de bataillon CRESPIN qui milite pour l’utilisation de l’hélicoptère au combat, en particulier pour l’acheminement des troupes au plus près de l’adversaire de jour comme de nuit, procédé opérationnel que mettrez en pratique plus tard en Algérie.

En Indochine, vos actions hors du commun, votre calme au feu, votre bravoure et l’exemple que vous donnez, vous valent sept nouvelles citations dont trois à l’ordre de l’armée.
En Algérie, vous servirez au Groupement d’Hélicoptères n°2 à Sétif, dans un premier temps en septembre 1955, comme capitaine commandant de la formation d’hélicoptères opérationnels, puis comme chef d’escadrons. Vous prendrez le commandement de cette unité en 1956.

Pendant six ans,vous combattrez en Algérie, au mépris de tous les dangers. Vous ferez preuve d’un courage indomptable et d’une énergie peu commune. Le mémoire de proposition au grade de Commandeur de la Légion d’honneur vous désigne comme un «chevalier sans peur et sans reproche». Vous serez sept fois cité en Algérie, dont deux à l’ordre de l’Armée.

En 1961, vous rejoignez l’École des Troupes Aéroportées à Pau et vous quitterez le service actif en 1964 en ayant toujours témoigné à vos anciens compagnons d’armes, pris dans la tourmente, votre estime et votre indéfectible amitié.

Plus tard, pendant quinze ans vous serez journaliste à Paris Match. Il y a quelques semaines, le 12 janvier dernier, vous êtes accueilli en qualité de pensionnaire à l’Institution Nationale des Invalides.

Mon Colonel, vous avez été élevé à la dignité de grand’croix de la Légion d’honneur, vous êtes Médaillé militaire, titulaire de la Croix de Guerre 1939-1945, de la Croix de Guerre des TOE, de la Croix de la Valeur Militaire, cité à dix-neuf reprises dont six fois à l’ordre de l’Armée.

Vous nous quittez dans votre quatre-vingt-dixième année, unanimement entouré du respect, de l’estime et de l’amitié de tous ceux qui ont eu l’honneur de combattre à vos côtés et de servir avec vous les armes de la France.
À tous les membres de votre famille, tout spécialement à votre épouse, à vos trois fils et à vos quatre petits enfants, j’adresse, en mon nom personnel, au nom de tous les cavaliers, de tous les parachutistes, de tous les personnels de l’ALAT, du médecin général directeur de l’Institution Nationale des Invalides, au nom de tous les médecins et personnels, au nom de tous les bénévoles qui œuvrent dans la cadre de l’Institution, et surtout au nom de tous vos camarades Pensionnaires, nos plus vives et nos plus sincères condoléances.

En nous associant par la pensée et le recueillement à la peine de tous les vôtres, nous allons vous rendre, Mon Colonel, un dernier et vibrant hommage, celui qui est dû grand soldat et au serviteur émérite et passionné de la France que vous avez été, et qui grâce à vous est aujourd’hui libre et debout. 

En vous saluant une dernière fois, en présence de l’Étendard des Invalides, votre dernier étendard, qui porte dans ses plis la belle inscription qui vous caractérise si bien : « Tous les champs de bataille » c’est votre armée, c’est votre France à laquelle vous avez tout donné qui vous salue avec respect et reconnaissance.

Le Général d’armée Hervé GOBILLIARD
Gouverneur des Invalides