annexe 26J

Témoignages prononcés au cours
de Service d'action de grâce
en l'Église Réformée d'Auteuil

Dit par Monsieur Bertrand Gallay
et Madame Jeanne Chaillet

Le 14 mars 2009

Dit par Monsieur Bertrand Gallay

Comment ne pas être ébahi et surtout profondément ému quand on évoque la carrière militaire de Déodat et surtout l’homme ?

Comment ne pas être admiratif, ahuri, devant ce parcours prestigieux, unique, réellement unique ?
Et donc, comment ne pas être sidéré par sa simplicité en pensant qu’ il y a peu de temps encore la grande majorité des paroissiens ignorait qu’ils côtoyaient l’officier le plus décoré de France en 1962 ?

Pourra-t-il y avoir un jour d’autres Déodat ? Je doute que la France d’aujourd’hui et le monde actuel puissent en générer. De 1940 à 1962 son parcours n’a été, en effet, qu’une suite ininterrompue d’actions héroïques : la campagne de 40, la résistance, les SAS, le 11e Choc, les commandos, l’Indochine, l’Algérie etc., etc., etc..

À chaque fois, Déodat a côtoyé la mort, a été blessé, capturé, s’est évadé, et toujours il a repris le combat.
Si un jour un film devait lui être consacré, il faudrait préciser que les faits décrits sont authentiques car il est peu crédible qu’un seul homme ait pu affronter tant de dangers, et surtout sans périr.

Insatiable durant ces 22 ans, il combat le plus souvent et cela dès la résistance, au sein de petites unités que l’on envoie dans le dos de l’ennemi et on imagine la solitude de ces hommes, la perspective de mourir seul et sans laisser de traces, sans compter la torture lorsqu’ils étaient capturés :

Dans un de ses livres, Déodat raconte qu’en Indochine il dut se résoudre à achever les blessés intransportables depuis que le vietminh avait mis dans un nid de fourmis rouges un de ses compagnons qu’il avait dû laisser sur le terrain.

Et malgré tout, il a toujours voulu repartir.
Tout au long de ces trois guerres particulièrement cruelles où la France eut à lutter contre des barbaries abominables, une foi profonde l’a accompagné dans ces terribles combats mais elle n’était pas une foi de justification, ni de certitude ou de confort mais une foi de quête et de recherche.

Il n’a pas été un quelconque seigneur de la guerre, même prestigieux, mais un seigneur dans la guerre. Déodat était un idéaliste mais qui ne refusait pas la réalité.
C’était aussi un homme libre qui ne vénérait pas les institutions et les castes, et pouvait les critiquer. 

Oserais-je dire que ces aptitudes ont peut-être un lien avec son long cheminement chrétien que Jeanne Chaillet va maintenant nous évoquer.

dit par Madame Jeanne Chaillet, Bibliste

Puy… Montbrun… 

Dans l’Antiquité, les divinités aimaient à résider sur les sommets ; mais si la montagne est le symbole de la hauteur divine, elle témoigne aussi de la petitesse des hommes et de leur aspiration à élever leurs âmes.

Les uns tentent l’ascension par la face Nord, les autres par la face Sud, généralement par le versant où les a placés le hasard de leur naissance ; quelques-uns, comme notre Déodat, regardent comment le Créateur les a faits et, en bonne stratégie d’approche, ils choisissent leur chemin en conséquence.

La belle et grande (et je donne à ces adjectifs leur pleine valeur), la belle et grande route du Catholicisme était trop bien balisée pour cet aventurier de la Foi qui dans ce domaine aussi, mettait un L majuscule au mot Liberté. Il a rejoint les frondeurs, les discuteurs, ceux dont Boileau disait en parlant de la Réforme : « chaque protestant fut pape, une Bible à la main ».

La Bible à la main, certes… mais la discipline étant la force principale des armées, Déodat avait aussi sous le coude, le petit catéchisme de Genève, et il me téléphonait parfois pour me dire : « je suis en train de lire Calvin, il y a là un point sur lequel je ne suis pas d’accord avec lui », je répondais : « mais Qui vous le demande ? » et nous revenions à notre passion commune : la Bible, Livre immense, infini, éternel.

Lorsque j’ai rencontré Déodat alors qu’il était, selon l’expression consacrée, dans la mouvance protestante, et en recherche d’une paroisse, j’ai immédiatement compris qu’il n’avait pas seulement lu la Bible mais qu’il avait avec elle cette complicité particulière que donne une longue fréquentation des Textes et qui nous permet à tout moment, de lire notre histoire individuelle et collective à travers les événements et les personnages des deux Testaments… car s’il est avéré que les Textes ne sont pas toujours historiques, l’Histoire de l’Humanité, elle, cite constamment les Textes.

Alors comment ne pas voir en Déodat, le roi David ?
Devant le peuple d’Israël rompu à la guerre mais effrayé, ce tout jeune homme s’avance avec la certitude qu’il va vaincre Goliath ; le vieux roi Saül en prend ombrage et envoie sa milice pour l’éliminer. David va diriger des commandos et, devenu roi, passer de longues années à faire la guerre, tout en priant les psaumes, psaumes de louanges, d’angoisse, de souffrance, de solitude.., et pleurer, comme aucun autre, ses camarades tombés au combat.

Les guerres finies, il vit encore longtemps et meurt, selon la belle expression biblique : vieux et rassasié de jours, couvert d’honneurs et de gloire, en transmettant le flambeau à son fils Salomon : roi, sage, et maître du culte… Même cela, Déodat l’a fait, sinon que son Salomon est détriplé : un fils au service de la patrie, un autre au service de l’humanité et de la philosophie, et le troisième au service de l’Église. J’ajouterai que si le prénom Déodat nous vient du latin, David s’écrit en hébreu avec trois lettres seulement, que l’on retrouve, et dans le même ordre, dans « Déodat ». Il aurait souri en entendant ma comparaison… et pourtant les analogies entre les personnages bibliques et nos contemporains ne lui échappaient jamais.

Il était littéralement habité par la Bible, il la portait dans sa mémoire, dans son cœur, dans son âme. Il la méditait et l’interrogeait sans relâche. Et comme chez lui, l’intelligence était toujours au service du cœur, sa lecture était inspirée et conduite par un sentiment profond, je dirais même mystique, d’appartenance à Dieu, et d’union avec le Christ.

Ce sentiment n’est guère répandu au pied de la montagne, où nous sommes loin de Dieu et d’autrui… mais la configuration des lieux est telle, qu’au fur et à mesure que nous montons (et Déodat n’était pas un traînard), nous nous rapprochons les uns des autres, et nous finissons parfois par être plus proches de croyants différents, que nous ne le sommes des membres de notre équipe qui piétinent en bas, dans leurs croyances estampillées et exclusives.

Là-haut, n’avons-nous pas un seul père ? N’est-ce pas le même Dieu qui nous a tous créés ? ( c’est un verset biblique que je lis parfois au fronton des synagogues). Là-haut près des sommets, règne une Pensée plurielle née de la multiple Parole de Dieu… Voyez les discussions musclées, et si réconfortantes pour les esprits libres, de Pierre et Paul.

Entendre les autres, en n’abandonnant rien de son être ni de ses convictions, Déodat savait le faire ; c’était un Grand Esprit, perpétuellement en ébullition, en combat contre l’injustice, en confrontation avec lui-même, et en ascension constante.

Par la voie royale du Catholicisme qui l’a conduit pendant toute son enfance et sa jeunesse, contribuant ainsi largement à édifier le grand Chrétien qu’il était, puis par les sentiers austères et escarpés du Protestantisme qui convenaient à son tempérament fougueux, indépendant, indomptable… et à travers les ronces, les épines, les dangers de sa vie, il marchait pour la France mais aussi, et inlassablement, VERS son Dieu.
Il a vaincu la montagne ; c’est son ultime, sa plus secrète… et sa plus grande victoire.