annexe 26C
La Voix du Combattant, novembre 2009
par Pierre Darcourt
DÉODAT du PUY-MONTBRUN
UN SOLDAT HORS DU COMMUN
Les Chemins sans croix est le plus beau roman de la guerre d’Indochine. Son auteur, Déodat du Puy-Montbrun, est mort cette année. Presqu’incognito.
Et pourtant, ce guerrier de l’ombre, grand’croix de la Légion d’honneur, titulaire de dix-neuf citations, des Croix de guerre 39-45 et TOE, de la Valeur militaire, la rosette de la médaille de la Résistance, la King’s Medal, six fois blessé, était un des officiers les plus titrés de sa génération.
POURQUOI CETTE SORTE D'ANONYMAT ?
Son parcours répond à la question. Des combats de 1940 menés à bout de course et de sang, blessé, prisonnier, évadé à deux reprises, clandestin puis expédié en Angleterre, breveté parachutiste à Ringway, l’école d’excellence des SAS et des Jedburg, largué derrière les lignes allemandes où il détruit une section SS. Chevalier de la Légion d’honneur à 24 ans, il s’écarte des formations régulières.
En 1945, intégré au service action du contre-espionnage français, il participe à la création du centre de Cercottes, avant de servir au 11e Choc, fer de lance des services secrets. Volontaire pour l’Indochine, il s’y bat de 1950 à 1954. Il fait partie du noyau d’officiers qui vont créer et conduire les fameux GCMA (Groupement de commandos mixtes aéroportés).
Très vite dans ce monde fermé, formé des combattants entraînés au silence, reliés par signes, capables de résister à tout, la solitude, la fatigue, la maladie, Déodat impose sa longue silhouette de moine-soldat. Il est dur, austère, rigoureux, ne tolère et ne s’autorise aucune faiblesse au combat.
PUY MONTBRUN, C'EST L'HOMME DES MISSIONS IMPOSSIBLES
En zone vietminh, à la tête de son groupe, vêtu de noir, sombre comme la nuit, il frappe l’ennemi sans rémission, égorge les sentinelles, fait sauter les dépôts de munitions, coule les jonques, tend des embuscades, fait des prisonniers et rembarque. Rien ne l’arrête, il se fait parachuter en plein orage pour éclairer une grande opération amphibie. En deux ans, il va débarquer ou sauter trente fois en zone rebelle, s’infiltrer dans la jungle spongieuse, traverser des étendues de boue visqueuse, surprendre des unités de viets aux bivouacs trop sûres d’être hors de portée, les mitrailler à bout portant, les grenader et s’il le fallait, les finir au corps à corps ! « Il faut qu’ils aient peur de nous tout le temps, même quand nous ne serons plus là. »
Entre deux missions, en 1952, il participe avec les SAS à une opération parachutée en Malaisie contre les guerilleros communistes.
Une affaire pas facile. Les paras sont largués direct sur la forêt primitive et des arbres de cinquante mètres de haut. Descente en rappel et poursuite de deux semaines des groupes ennemis. Déodat qui affiche une forme physique infernale, bluffe les Anglais par son endurance, son sang-froid et ses qualités de tireur. Le colonel Sloane, commandant le 2e SAS, lui écrit : « Vous nous avez impressionnés. Vous êtes un soldat hors du commun (outstanding). »
Cet athlète aristocratique, parfois distant, était en fait un homme de coups de main, de commando, de contre guérillas, des opérations surprise. Nageur de combat, alpiniste, coureur de fond, moniteur para, il maîtrisait toutes les armes qu’il appelait les « moyens de mort», y compris les explosifs et le couteau.
À son retour d’Indochine, Puy Montbrun revient à Cercottes et passe son brevet de pilote d’hélicoptère. Une nouvelle forme de combat s’ouvre devant lui sur le terrain difficile de l’Algérie. Il va une fois encore s’y affirmer comme pionnier des « hélicos » opérationnels.
Il RESTE EN ALGÉRIE SANS INTERRUPTION DE 1955 À 1961
Sa spécialité, le transport opérationnel, l’appui feu et la récupération des blessés. De jour, de nuit, par tous les temps. Infatigable. Trois mille heures de vols opérationnels. Sans desserrer les dents. Et puis un jour, déposé à terre pour rétablir un assaut qui flotte, il est gravement touché au ventre.
ll ne reviendra pas en Algérie. Mais il ne l’oubliera plus comme il garde en lui le souvenir des terres de lumière du Vietnam.
En 1962, cet officier classé « Élite », considéré comme un expert de la guerre aéromobile est brusquement placé à la retraite d’office par le ministre de la Défense du moment. Sans aucune explication.
Puy Montbrun, Français libre, ne s’était jamais révolté hormis lorsque les Allemands occupaient la France. Il n’avait jamais appartenu à l’OAS. Mais à trois reprises, en tenue numéro un, avec sa cravate de commandeur et toutes ses décorations pendantes il était allé devant la Cour de Sûreté de l’État témoigner en faveur d’anciens subordonnés. Ses frères de sang partagé.
À Hanoï où il était aide de camp du général de Lattre, le colonel Edon, bâti en force, avait dit au commandant en chef « Votre capitaine, mon général, se prend un peu trop pour un seigneur. »
De Lattre avait souri et dit :
« C’est vrai, mais l’inconvénient avec Puy-Montbrun, c’est qu’il est vraiment un seigneur ».
Pierre Darcourt