Chapitre 4

La deuxième famille du Puy-Montbrun
Mal joué, puis très bien joué

L’appropriation du nom du Puy-Montbrun de la première famille que nous avons présenté par la deuxième famille que nous étudions et que les auteurs appellent Rochefort [Voir Annexe 4A] est riche d’informations. 

On y voit :
– un généalogiste complaisant qui sait conserver ce qu’il faut d’honnêteté intellectuelle ;
– un généalogiste pas complaisant du tout lui, qui dévoile trop brutalement les turpitudes que l’on voulait cacher ;
– un généalogiste du Roi dont le métier n’est pas la généalogie qui a été très habilement utilisé.

Au bilan un Jacques II (ou Jacques) du Puy (ou du Puy-Rochefort) se fait connaître comme Jacques du Puy-Montbrun et donne ce nom à ses enfants.

Cette appropriation a été bien menée. L’affaire s’est faite, pour l’essentiel, en deux temps.

1. Dans un premier temps, un coup finalement très mal joué par Jacques du Puy

Il s’agit de la généalogie écrite en 1776 par La Chenaye-Desbois1.

Les faits : 
Cet auteur commence sa notice (https://books.google.fr/books?id=6JxYAAAAMAAJ, aller à la page 582 en bas) en se référent à un généalogiste des XVIIe siècle, Guy Allard sans nous informer des nombreuses branches décrites par ce dernier [Voir Annexe 3B].
Il est lapidaire sur la branche Montbrun en ne citant, après son fondateur Bastet que l’extinction de la branche avec un François du Puy-Montbrun en 1741. Il ne détaille qu’une branche, c’est la branche Rochefort et encore renvoie-t-il à Moreri [Voir Annexe 3C] pour ne traiter que de ce qu’il doit montrer comme essentiel : à savoir que les enfants de Jacques du Puy s’appellent du Puy-Montbrun.

Le commentaire :
Comme tous les généalogistes du XVIIIe siècle, la Chenaye-Desbois connaît d’évidence les travaux de Guy Allard sur les familles Montbrun au siècle précédent. Il se garde bien de faire part de ses travaux.

Il fait donc à l’évidence oeuvre de commande. Celle de Jacques du Puy bien évidemment qui veut écarter toute autre branche de la famille du Puy du Dauphiné, ce qu’il fera de même avec le généalogiste du Roi comme on le montrera plus loin.

La Chenaye-Desbois est le seul à dire dans une notice détaillée la branche Montbrun éteinte avec François en 1741. On a vu que c’est une extinction en France, ce qui ne veut d’ailleurs rien dire ; la famille a émigré et c’est à l’étranger et que cette branche s’est éteinte beaucoup plus tard – si c’est bien le cas et ce n’est pas sûr – en 1901 [Voir Annexe 2C].

Cette extinction, Jacques du Puy en fournit l’information fausse parce qu’il en a besoin pour s’approprier le nom et ne susciter aucune opposition. Un mensonge sans conséquence pour La Chenaye-Desbois. Ceux qui sont à l’étranger, ce sont des protestants. Il ne craint probablement rien d’eux s’ils venaient à se manifester dans la France catholique d’alors.

Il ressort donc que sous un titre de notice :
« PUY-MONTBRUN (du), Ancienne et illustre Maison du Dauphiné ».
Le lecteur se fait dire que cette famille est uniquement représentée par la branche Rochefort, la branche Montbrun étant éteinte et aucune autre citée.

Et se fait dire aussi et contre toute attente que les enfants de ce Jacques du Puy, du Puy depuis quinze générations et Rochefort depuis huit générations rappelons-le, s’appellent du Puy-Montbrun.

La Chenaye-Desbois berné ?
En fait, il n’est pas berné du tout. Sa notice évidemment complaisante – il faut bien vendre et gagner sa vie – mais elle est délicieusement écrite. Un bel exemple pour le lecteur.

Un excellent exemple pour qui cherche à lire entre les lignes, ce qu’il convient de toujours faire.
Voilà qui montre aussi que les généalogistes lorsqu’ils ont quelque renommée n’oublient jamais de faire savoir (subtilement) qu’ils ne sont pas complètement dupes lorsqu’ils écrivent sous la contrainte2.

Jacques II est dit dans la notice écrite par La Chenaye-Desbois fils de « Laurent du Puy » appelé « le Comte de Rochefort ». Rochefort donc était son père – et ne s’appelait pas du Puy-Montbrun – La Chenaye-Desbois ne se prive pas de le rappeler explicitement.

Mieux. Après avoir écrit les raisons qu’on lui a données d’appeler Jacques du Puy
« Marquis du Puy-Montbrun » il ajoute aussitôt qu’il :
« est vrai que dans le temps moderne la branche aînée de la Maison du Puy dont il était le chef était connue sous le nom de Rochefort, ancienne seigneurie de la Maison ».
Ce sont vraiment des Rochefort nous dit encore l’auteur et très explicitement.

Enfin comme il ne manque pas d’esprit et comme une sorte de coup de pied de l’âne, La Chenaye-Desbois rappelle encore au lecteur que Charles du Puy-Montbrun, un vrai du Puy-Montbrun même s’il ne portait pas ce nom ainsi écrit à l’époque, lui, le grand capitaine protestant, s’est rendu à son cousin Rochefort.

Un cousin de la branche Rochefort comme le dit la source citée, et qui ne s’appelle certainement pas du Puy-Montbrun. Dont acte donc, si l’on avait pas encore compris que les Rochefort ne sont pas les Montbrun.

Mais voilà. Un généalogiste doit vivre. Donc vendre, on l’a dit. Aussi termine-t-il par ce qui lui a été commandé. Les enfants de Jacques du Puy, fils de Laurent du Puy, sont appelés du Puy-Montbrun, du Puy-Montbrun tout court.

Son successeur pas berné du tout :
Mais le pire pour ce pauvre Jacques du Puy (décédé depuis longtemps) va arriver avec le successeur de La Chenaye-Desbois.

Les travaux de La Chenaye-Desbois ont en effet été repris par son élève, Jacques Badier et publiés en 1870. Lequel Badier y a mis sa patte quand il y avait lieu ce qui est explicitement indiqué [Voir Annexe 4B].

On sait par Badier que la notice du Puy-Montbrun de La Chenaye-Desbois a été écrite à partir d’informations communiquées sous forme d’un mémoire que (qui serait-ce d’autre ?) Jacques du Puy a fournies [Voir Annexe 4C].

Voilà qui fait comprendre que la notice de 1776 soit établie au nom de du Puy-Montbrun, alors que le nom de Jacques est du Puy depuis quinze générations et Rochefort depuis huit générations [Voir Annexe 3E]. Jacques du Puy marie sa fille cette même année3 1776. Elle va s’appeler contre toute réalité historique : du Puy-Montbrun. Tout se passe donc comme s’il était devenu urgent qu’un généalogiste valide ce nom aux yeux de tous.

Sur la notice PUY-MONTBRUN (du) Badier n’y est pas allé par quatre chemins. Il exclut la branche Rochefort de la famille du Puy en Dauphiné, probablement agacé par tant de malhonnêteté [une hypothèse ? NDLR] ce qui est évidemment excessif, Rochefort étant indiscutablement une branche de cette famille du Dauphiné pour tous les autres généalogistes dont, on le verra en détail, celui du Roi.

Les éditeurs, sans-doute gênés par sa suppression, ont cru bon d’insérer en note ce qui avait été dit sur elle dans la précédente édition et qui n’est plus repris [Voir Annexe 4D]. Une façon de faire quelque peu « Ponce-Pilate ».

Il en reste une moralité.
À avoir voulu faire croire que le nom du Puy-Rochefort est devenu du Puy-Montbrun en 1776 on s’expose à ce que sa turpitude soit présentée au lecteur en 1870. Mais cela n’aura pas beaucoup d’effet. Jacques du Puy a fait depuis beaucoup mieux au point d’impressionner tout récemment encore (en 1948) les généalogistes les plus récents sur lesquels vont s’appuyer les pseudonymes des articles de Wikipédia et de Généawiki pour dire le faux

2. Très bien joué !

Jacques du Puy savait sûrement que tromper un généalogiste auquel il fournit des informations inexactes reste fragile. Il ne va donc pas remettre son destin de Marquis du Puy-Montbrun dans une seule main.

Deux ans plus tard, il va jouer un coup de maître en utilisant le généalogiste du Roi, Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin. Il se sert de toutes les subtilités du protocole des Honneurs de la Cour.
Qu’en est-il ?

◊ Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin en 1788  
Ce généalogiste – dit aussi par les uns Nicolas Chérin et par d’autres Chérin tout court ce qui est incorrect puisque son père, Bernard Chérin dit Chérin était le précédent généalogiste du Roi et qu’il ne faut pas les confondre – détient en 1788, à la suite de son père un rôle singulier.

Celui d’analyser pour le Roi avec des collaborateurs dédiés et particulièrement compétents les documents fournis par les familles qui souhaitent être admises aux Honneurs de la Cour. L’essentiel pour être admis à ces Honneurs est que le généalogiste du Roi – et ses commis d’abord bien évidemment – assurent une filiation ininterrompue du requérant parfaitement sûre, remontant au moins avant 1400, sans trace d’anoblissement.

La fonction de généalogiste du Roi n’est donc pas celle d’un généalogiste – au sens de la connaissance complète des familles. On pourrait l’assimiler à celle d’un notaire qui certifie au Roi la qualité de la filiation des prétendants aux Honneurs.
Et cela à partir, et uniquement à partir des actes et autres pièces permettant d’établir les filiations que ceux qui demandent l’admission aux Honneurs de la Cour ont eux-mêmes fournis et qui leur seront rendues4.

Les Honneurs de la Cour :
De quoi s’agit-il, brièvement ?

D’une procédure longtemps assez mal comprise présentée notamment sur internet par Borel d’Hauterive (1849-50) [Voir Annexe 4E].

Il se trouve que cette procédure vient de faire l’objet d’études récentes :

◊ du Vicomte de Marsay au chapitre XII de l’édition de 1977 de De l’âge des privilèges au temps des vanités, Éditions Contrepoint, Paris (pages 90 à 135) ;

◊ de François Bluche, en 2000, qui y consacre un ouvrage : Les Honneurs de la Cour, Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux (ICC), Paris.

◊ de Benoît de Fauconpret, en 2012 qui a étudié les Preuves de Noblesse au XVIIIe siècle, titre de son ouvrage, Patrice du Puy Éditeur, Paris.

Que peut-on en retenir ici et brièvement pour ce qui nous concerne ?

Sur le principe :
a/ Que Louis XV en ayant assez de voir les intrigants pratiquer sa Cour sans vergogne décide d’une règle qui distinguera les noblesses antérieures à l’an 1400, date retenue pour plusieurs motifs.

b/ Que ce faisant le Roi qui écarte nombre d’intrigants s’attire les foudres de la noblesse de Robe, noblesse le plus souvent postérieure à 1400 mais qui a de l’argent et tient le haut du pavé. Ceux qui ne peuvent pas être reçus sont pénalisés. D’où des dispenses et des faveurs.

c/ Qu’en revanche, nombre de gentilshommes qui ne vivent pas à Paris alors que leurs ancêtres ont eu de hautes fonctions dans la noblesse féodale vont rechercher ces honneurs au motif qu’ils deviennent preuve définitive de leur très ancienne noblesse.

François Bluche le confirme5 :

Les Honneurs de la Cour fournissent une preuve éclatante : les admis sont présentés au Roi. 

Incidemment, ils montent dans ses carrosses pour le suivre à la chasse, une condition sine qua non pour valider l’admission aux Honneurs de la Cour.
Une condition bien désagréable tant ces carrosses dotés de très mauvaises suspensions étaient source de maux pour des reins qui faisaient l’expérience « des ressorts fatigués des carrosses royaux6 ».

Sur les modalités :
Le demandeur n’est tenu qu’à une chose. Fournir ses preuves de noblesse sous forme de documents originaux [Voir Annexe 4F] tels que contrats de mariage, testaments, partages, donation, etc.. Sont exclus les documents utilisés pour les recherches de noblesse ce qui montre incidemment le peu de confiance que le Roi leur portait. Sont exclus aussi à l’évidence de ce qui vient d’être dit toutes généalogies que le demandeur aurait voulu présenter. « Une évidence ignorée dans Wikipédia » [Voir Annexe 4G].

Ces documents sont examinés par les commis du généalogiste du Roi et font l’objet d’un mémoire au Roi.
S’il est admis, le requérant est présenté au Roi avec le titre qu’il veut. Nous avons bien dit : avec le titre qu’il veut.

Sur le titre choisi pour être présenté au Roi : 
Nous y sommes ! Voilà l’effet de niche. Voilà la raison de l’admission de Jacques du Puy aux honneurs de la Cour. Il va se faire donner un titre, celui de Marquis du Puy-Montbrun qu’il utilisera ensuite pour faire croire que c’est son nom.

Mais il y a mieux encore. Cette admission est une vraie réussite. Comme c’est Jacques du Puy qui fournit les documents originaux [Voir Annexe 4F], voilà qui va lui permettre d’obtenir un dossier d’admission qui éliminera de la famille du Puy en Dauphiné toutes les branches autres que Montbrun et Rochefort sur lesquelles il ne donnera aucune information en faisant croire que cette dernière est naturellement la seule à pouvoir reprendre Montbrun dans son titre.

Comment apporte-t-on la preuve du jeu subtil de Jacques du Puy ? C’est ce que l’on examine maintenant.

chapitre 3

Les nombreuses branches des du Puy en Dauphiné
et quelques premières observations

chapitre 5

L’admission de Jacques du Puy
aux Honneurs de la Cour
Une preuve tellement utile

notes

  1. 1 | Voir à la page 582 : https://books.google.fr/books?id=6JxYAAAAMAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
  2. 2 | Voir https://archive.org/stream/dictionnairedela16aube#page/259/mode/2up, page 519 où Badier dit expressément que les informations viennent notamment de « mémoires communiqués ». À l’évidence par Jacques du Puy. On verra plus tard une notice tout autant de complaisance écrite en 1948 par un sociétaire du Grand Armorial de France, avec le même coup de pied de l’âne.
  3. 3 | Mariée à Rome le 6 mai 1776, selon la notice ci-dessus éditée en 1776.
  4. 4 | Voir : https://books.google.fr/books?id=mN8t87Ftk8QC&pg=PA378&dq=false en fin de page. Pour ce qui est de Jacques du Puy, on sait par le marquis de Magny que les pièces qu’il a fournies au généalogiste du Roi Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin ont été dans les mains de son fils « possesseur des archives de sa famille est des titres originaux qui ont servi à feu M.Chérin pour dresser [son] grand travail ».
  5. 5 | François Bluche, op.cit. pages 26 et 27.
  6. 6 | Philipe de Clinchamps, op.cit. en fin de page 62.