Chapitre 5

L’admission de Jacques du Puy
aux Honneurs de la Cour
Une preuve tellement utile

Jacques du Puy – du Puy depuis quatorze générations et Rochefort depuis huit, on ne le dira jamais assez [Voir Annexe 3E] – est d’une famille issue d’un Alleman, frère de Bastet fondateur de la branche des seigneurs de Montbrun dont l’origine féodale au XIIIe siècle est tellement prouvée que tous les généalogistes en conviennent à l’exception de la notice de Badier, en 1870, dont nous avons montré qu’elle était un agacement et qu’elle ne valait pas. 

Pourquoi donc aller rechercher à Paris une consécration généalogique d’ancienne noblesse dont tout le monde autour de lui était parfaitement certain ?

Pourquoi donc ?

Dans la branche Montbrun de la famille du Puy (Dauphiné) Jean du Puy, dit aussi Jean-Alleman du Puy seigneur de Montbrun a vu en 1620 ses terres érigées en marquisat de la façon la plus légale qui soit, à savoir par lettre patente du Roi comme le montre ci-dessous cet extrait du mémoire sur la famille du Puy en Dauphiné paraphé par Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin1.

(Le mémoire mentionne comme on le voit aussi le généalogiste Guy Allard). 

Un Marquis !

On ne mesure plus aujourd’hui l’appétit qu’il y a eu dans les derniers siècles pour le titre de Marquis de la part de ceux qui ne l’avaient pas. 

L’hypothèse la plus crédible pour expliquer la conduite de Jacques du Puy paraît à ce jour cet appétit pour ce titre de Marquis et donc le « Montbrun » qui doit aller avec.

Un titre bien choisi

Jacques du Puy va utiliser les Honneurs de la Cour pour se faire présenter au Roi avec le titre de Marquis du Puy-Montbrun.

Un titre – et pas un nom – mais dans lequel il y a le nom qu’il convoite. On comprend bien évidemment que, lorsque ce sera son titre, porté de façon incontestable (la présentation au Roi), il ne tardera pas à en faire son nom.
Comment cela est-il possible ?

Le vicomte de Marsay2 n’est pas le dernier à être étonné de cette étrangeté qu’est l’indifférence du Roi aux titres. Elle permet à chacun de prendre celui qu’il souhaite. Il écrit en citant un M de Ludre (op.cit., page 152) :

« Ce qui est le plus étrange, c’est que les souverains français ne semblent nullement opposés à ces usurpations et la tradition de cette indifférence resta si constante que, lorsqu’on avait les Honneurs de la Cour, la montée dans les carrosses, etc., on se faisait nommer au Roi sous le titre qu’il convenait au récipiendaire de prendre ».

Ainsi les documents des Honneurs de la Cour sur l’admission de Jacques du Puy disponibles à la Bibliothèque Nationale fournissent-ils une double information :

◊ d’une part sur les filiations du requérant autant qu’elles aient été présentées dans les documents qu’il a fournis, contrôlées par le généalogiste du Roi ;
◊ d’autre part, et de façon indiscutable, sur le titre de marquis du Puy-Montbrun selon lequel il a demandé à être présenté au Roi.

Les filiations, en général

Tous les généalogistes qui recherchent des filiations ont raison de s’appuyer sur les travaux effectués quand l’admission n’est réellement due qu’à l’assurance donnée par le généalogiste du Roi d’une filiation conforme à ce qui est attendu par le Règlement. À savoir une famille de noblesse antérieure à l’an 1400 et jamais anoblie.

Les études complètes et récentes citées du Vicomte de Marsay en 1977, de François Bluche3, en 2000 et de Benoît de Fauconpret4, en 2012 trouvent dans ce dernier la conclusion que :
« l’admission aux honneurs de la cour donne lieu à ce qui constitue au XVIIIe siècle », le parangon des preuves de noblesse (Fauconpret, op.cit.page 105).

François Bluche le précise de la façon suivante (op.cit. pages 26 et 27, extrait ci-dessous) :

Il s’en déduit aujourd’hui que la réserve exprimée par Philippe de Clinchamps en 1996 (op.cit. page 64) sous la forme « les filiations établies pour les Honneurs de la Cour ne sauraient en principe être admises comme preuves de noblesse », brandie comme pourrait le voir le lecteur dans des pages de discussion de sites internet, est devenue très nuancée par les travaux récents de Bluche et de Fauconpret.

Philippe de Clinchamps précise en effet que « si le généalogiste du Roi établissait un mémoire » ce « rapport était mis sous les yeux du Roi qui prenait la décision de son goût ».
Ce généalogiste a donc raison de craindre la décision d’admission du Roi pour des familles dont son généalogiste aurait montré qu’elles n’étaient pas recevables. 

Tout ceci est désormais étudié par les auteurs récents, dont Bluche et Fauconpret qui prennent évidemment en compte les réserves exprimées par Philippe de Clinchamps, réserves dues aux inévitables dérives. Celles-ci sont bien décrites et se classent en familles reçues :
– avec une dispense de preuves (il y en a eu très peu) ;
– avec des preuves n’atteignant pas, mais de peu, l’an 1400 ;
– avec des preuves allant au-delà de 1400 mais montrant qu’elles avaient alors été anoblies (on se souvient que l’admission était réservée aux nobles d’origine féodale, donc jamais anoblis) ;
– avec la grâce du Roi, en dehors donc de toute preuve, ce que montre très bien François Bluche (op.cit. pages 19 à 24).

Ainsi François Bluche (op.cit. page 19) et B de Fauconpret (op.cit. page 107) disent que sur les 942 familles admises aux Honneurs de la Cour entre 1715 et 1790, 462 ont présenté une filiation prouvée au-delà de 1400 sans trace d’anoblissement antérieur en remplissant les conditions des preuves.

La famille du Puy du Dauphiné appelée du Puy-Montbrun pour la présentation aux Honneurs de la Cour est ainsi – et de façon certaine – l’une d’entre elles, mentionnée par François Bluche comme suit (op.cit. extrait de la page 50).

François Bluche reprend la phrase présentée ci-dessous qu’il attribue [Voir Annexe 10B] à Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin et que l’on trouve dans le dossier1 des du Puy en Dauphiné de la Bibliothèque Nationale : 

Mais de quelle famille (ou maison) s’agit-il réellement ? 
C’est ce que la filiation présentée par Jacques du Puy va nous montrer.

… et la filiation présentée par Jacques du Puy en particulier…

La filiation présentée par Jacques du Puy pour son admission aux Honneurs de la Cour est largement superfétatoire. L’an 1400 y est de beaucoup dépassé. Le premier du nom est Hugues qui était mort en 1267. 

Faire reconnaître cette longue filiation est classique. Comme il en a été pour beaucoup d’autres requérants, il s’agit, on l’a dit, de profiter du règlement des Honneurs de la Cour pour faire valoir de façon désormais indiscutable et définitive le caractère féodal de sa noblesse, ce qui fait rappeler ce qui a été dit ci-dessus : les Honneurs de la Cour ont aussi été un exercice de preuve nobiliaire pour montrer la qualité de sa noblesse (Bluche, op.cit.page 27).

Mais attention. Dans le cas de Jacques du Puy il y a une autre raison de remonter aussi loin dans le temps.

Son but est de montrer que ses aïeux les plus lointains de la branche Rochefort étaient bien seigneurs de Montbrun, et ceci avant que la branche de ce nom ne se sépare.

Il s’agit en effet pour lui :
– d’une part de faire valoir une seigneurie Montbrun tout à l’origine de la famille du Dauphiné pour justifier le titre de marquis du Puy-Montbrun qu’il veut prendre ;
– et de montrer d’autre part qu’il est le seul légitime à pouvoir le demander.

Pour ce faire Jacques du Puy va, présenter les pièces originales [Voir Annexe 4F] de deux familles – et de deux familles seulement (bien joué !) – celles des branches Montbrun et Rochefort de la famille du Puy en Dauphiné.

Il n’a besoin que de la branche Montbrun qu’il faut montrer éteinte pour lui prendre son titre de Marquis.
Il écarte donc toutes les autres branches en ne fournissant aucun preuve sur elles et sachant que le généalogiste du Roi n’est pas légitime à s’interroger sur l’exhaustivité ou non de la présentation des branches d’une famille quelle qu’elle soit.

Il ne manque pas de nombreux documents originaux sur les membres de sa famille qu’il choisit de présenter – comme il en sera pour beaucoup de familles de très ancienne noblesse et donc puissantes dans les siècles féodaux où elles ont laissé des traces écrites : les hommages rendus, les cessions ou acquisitions de biens, etc..

Mais dommage !
– les pièces concernant les premiers degrés lui font défaut5.
Or elles lui sont essentielles car c’est là où la seigneurie de Montbrun doit apparaître avant qu’elle n’appartienne clairement et définitivement à la seule branche cadette dont il veut se parer du nom en commençant par le titre.

… qui n’est pas conforme au règlement…

Il utilise alors les services d’un généalogiste du XVIIe siècle, Guy Allard6 auteur de l’Histoire généalogique des familles de Du Puy-Montbrun et de Murinais… ce qui n’a évidemment pas le caractère de titres originaux fournis par le requérant.

Le document des Honneurs de la Cour le précise7 en toute lettres [Voir Annexe 5A] On lit :
« tout ce que l’on rapporte ici sur les 2 premiers degrés est tiré de Guy Allard, dans son Histoire Généalogique de cette Maison imprimée en 1682. »

Guy Allard appelle seigneur de Montbrun les Alleman IIe et IIIe aïeux des branches Rochefort et Montbrun8. Cela satisfait parfaitement le besoin de Jacques du Puy.

Mais comment une telle pièce non conforme au règlement a-t-elle pu être acceptée ?

… mais va obtenir l’aval du généalogiste du Roi…

Nous sommes en 1788. Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin est alors le généalogiste du Roi. Il sera le dernier à exercer cette fonction. Il quittera sa fonction pour cause de Révolution assez écoeuré du comportement de la noblesse de cour9.

On ne saura jamais si cet écœurement est la raison de son intérêt particulièrement marqué pour les familles de vraie, mais surtout de très ancienne noblesse. Au point qu’on a pu le lui reprocher.
Ainsi, selon François Bluche il « pousse… à un point excessif le culte de l’origine féodale » (Op.cit. pages 18). Et il se plaît à s’intéresser à ces familles, fussent-elles à l’époque des Honneurs de la Cour beaucoup moins brillantes que par le passé comme le montre la note suivante10 écrite par Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin : 
« Il existe dans le Royaume un plus grand nombre de races anciennes quoi qu’on ne pense, qui ont échappé aux ravages des guerres civiles et du temps qui dévore tout. Si l’obscurité dans laquelle ont vécu ces familles durant quelques siècles semble les avoir fait déchoir de leur ancien lustre, elles n’en ont pas moins droit aux honneurs réservés à leur haute naissance lorsqu’elles présentent les titres authentiques de leur origine. »

La conclusion (une hypothèse bien sûr) que l’on peut présenter au lecteur est que LNH Chérin s’est autorisé à présenter au Roi une filiation non conforme au Règlement11 (puisqu’elle s’est appuyée pour partie sur des degrés présentés par le généalogiste Guy Allard, ce qui ne peut être considéré comme titre par le règlement) mais dont non seulement il était certain mais qu’il appréciait aussi au regard des filiations médiocres que beaucoup de personnalités bien en cour cherchaient à lui imposer.

Quoi qu’il en soit, Jacques du Puy n’a pu qu’en être satisfait. Coup double. Cela lui permet :

◊ de montrer qu’il y a une seigneurie Montbrun dont il puisse se prévaloir avant la séparation des branches, celles de Bastet (Montbrun) et d’Alleman (Rochefort) et de se faire reconnaître le titre qu’il souhaitait.

◊ de laisser des archives – et celles-là, celles des Honneurs de la Cour, ont beaucoup d’importance, qui ne donnent à la famille du Puy du Dauphiné que deux branches.

… pour présenter une généalogie de la famille du Puy (Dauphiné) dûment incomplète… à son avantage

En effet, il y a de multiples branches dans la famille du Puy du Dauphiné que nous avons précédemment présentées [Voir Annexe 3A]. Dont celles décrites par ce Guy Allard , généalogiste que LNH Chérin a considéré comme preuve recevable. Ce qui n’est pas rien quand à la qualité de ses travaux auxquels on peut donc accorder très grande confiance pour les branches qu’il indique. [Voir Annexe 3B].

Pour autant on ne compte pas les généalogistes qui ont utilisé cette admission de Jacques du Puy, seigneur de Rochefort aux Honneurs de la Cour pour y faire référence. Surtout quand leur intérêt est de résumer les du Puy du Dauphiné à deux branches. 
Une vraie réussite et qui dure encore [Voir Annexe 5B].

Il est temps maintenant de considérer, avec le sentiment du très bien joué, l’ampleur de cette réussite.

chapitre 4

La deuxième famille du Puy-Montbrun,
Mal joué, puis très bien joué

chapitre 6

Jacques du Puy, quinzième génération des du Puy, huitième génération des du Puy-Rochefort devient Jacques du Puy-Montbrun

notes

  1. 1 | Bibliothèque Nationale, site Richelieu, fonds Chérin 165, dossier 3342.
  2. 2 | Vicomte de Marsay, De l’âge des privilèges au temps des vanités, Éditions Contrepoint, Paris, 1977.
  3. 3 | François Bluche : Les Honneurs de la Cour, L’intermédiaire des chercheurs et des curieux (ICC), Éditions Patrice du Puy, Paris, 2000.
  4. 4 | Benoît de Fauconpret : Les preuves de noblesse au XVIIe siècle, Éditions Patrice du Puy, Paris, 2012.
  5. 5 | Adolphe de Coston n’a pas manqué de signaler ce défaut de qualité des pièces fournies pour des degrés les plus anciens « qui n’ont pas paru suffisamment prouvées au rigide Chérin » [Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin NDLR].

    Incidemment il critique Guy Allard qui a eu toute la confiance de ce dernier pour établir les derniers degrés prouvés : « Guy Allard... fait descendre à tort...diverses familles du Puy... (qui) paraissent n’avoir aucune origine commune avec leurs homonymes du Dauphiné.

    Deux hypothèses. Ou bien il ne s’est pas assez instruit des documents du fonds Chérin qu’il cite. Ou bien, c’est beaucoup plus probable, il écrit pour des familles de Montélimar dont l’une (les Rochier représentés par l’usurpateur Louis-Joseph-Gabriel de Labaume Dupuy-Montbrun alors maire de Lagarde Adhémar, on l’a vu) a trop de poids localement pour qu’il ose aller dans ses écrits à l’encontre des prétentions locales. Il faut vendre.
    C’est tout le problème de nombreux généalogistes.
    => https://books.google.fr/books?id=cqdCAAAAYAAJ&pg=PA78&dq=Melgueil+honneurs+de+la+Cour+1788&f=false

  6. 6 | Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k374329d/f2.image.
  7. 7 | Bibliothèque Nationale, site Richelieu, fonds Chérin 165, dossier 3342.
  8. 8 | Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k374329d/f22.image.
  9. 9 | Il est probable que Louis-Nicolas-Hyacinthe-Chéri ait mal supporté les tricheries de ceux de la noblesse de cour qui cherchaient à faire des faux, incapables de remonter à l’an 1400 requis par le Roi. Il les démasquait (pas tous, on s’en est rendu compte) tandis que le Roi lui imposait d’en accepter certains.
    Ce qui est sûr c’est qu’il a été « de plus en plus gagné aux idées nouvelles… le 15 juillet 1789, il s’enrôle dans la Garde Nationale… Ce fut le début d’une brillante carrière militaire… Il finit général de division, mort au champ d’honneur le 20 prairial an VII. » (Introduction du Baron Durye à l’ouvrage de LNH Chérin, Abrégé Chronologique, op.cit.)
  10. 10 | Cette note relative à la famille du Puy-Melgueil (voir plus loin) est donnée ici à titre d’exemple.
  11. 11 | Voir note n°5.